Le monde est beau, et à la fois terrifiant. Il rassemble un capharnaüm de gens aussi dissemblables que complémentaires, à la fois unis et désunis. Chacun possède, de part le vaste monde, ce que l'on appelle une âme sœur. Une personne étant la moitié de nous-même. Mais malheureusement, nous ne parvenons pas tous à faire sa rencontre, ou bien nous la croisons au détour d'une rue, nous contentant de lui jeter un vague regard avant de poursuivre notre route. Moi, je vois les âmes des gens. Ils sont entourés de leur aura, cette étendue colorée représentant leur humeur du moment, où différentes teintes se mêlent et tourbillonnent. Mais au delà de cela, je vois leur nature profonde car bien souvent, une seule couleur domine. Si les auras peuvent se ressembler, aucune âme n'est pareille. Les arc-en-ciel allant du rouge à l'indigo, se déclinant dans toutes les teintes et les luminosités possibles, sont représentatifs de l'essence même de la personne. En un regard, il m'est possible de déterminer qui est triste ou qui est joyeux, qui est bon ou mauvais. Et bien souvent les apparences sont extrêmement trompeuses. Mais malgré tout, tous sont semblables. Jamais une personne n'a détonner dans le paysage coloré qu'est ma vie. Je n'ai jamais rencontré celui dont l'âme serait différente, complémentaire de la mienne. Et en parallèle, je me suis souvent demandée comment était mon âme. Ce Don peut ressembler à un cadeau du Ciel, mais bien souvent, je l'associe à un fardeau. Comment aurait été ma vie si j'avais été normale ? C'était une question qui aspirait à ne jamais trouver de réponse...

Mon intégration dans le monde réel était assez compliquée. Je vivais seule, me tenant bien souvent à l'écart des autres, ne sachant comment les aborder. Les relations humaines étaient loin d'être mon fort, et à vrai dire, cela m'attristait un peu. J'aurais aimé pouvoir aller vers eux sans me soucier de la couleur qui les entourait, et qui me freinait perpétuellement dans mon élan lorsque je remarquais que la personne n'était pas ce qu'elle semblait être. Je n'étais personne malgré tout mes efforts pour exister. Je n'avais pas d'attaches, à part l'exposition en cours de préparation à la Tate Gallery. C'était une chance inespérée et j'espérais fortement qu'elle m'aiderait à m'intégrer dans la société londonienne. Depuis que j'avais rejoint le monde extérieur, je n'avais cessé de remettre en question ce choix. La foule m'était insupportable, et toutes ces auras confondues formaient une masse colorée continue qui m'écorchait la rétine, m'obligeant à porter en permanence des lunettes de soleil afin de ne pas devenir aveugle. J'avais plusieurs fois essayer de contrôler ce don, m'imaginant pouvoir masquer les âmes et auras que je ne voulais pas voir, mais tout effort s'était soldé par un échec. J'errais donc dans les rues, portant des lunettes noires jusqu'en hiver, gardant continuellement les yeux rivés au sol. La vie était un Enfer.

Mais j'avais choisi de vivre, alors autant en accepter les inconvénients. J'avais beaucoup de choses à découvrir de la ville dans laquelle j'étais née, qui m'était pourtant inconnue. Et en ce jour j'avais décidé de me rendre au London Eye, désirant voir Londres depuis l'une des nacelles, rêveuse à l'idée d'admirer un océan de couleurs depuis le ciel. Arrivée au pied de l'attraction, je tentai de faire abstraction de la foule qui s'y trouvait. Beaucoup ne montait pas et j'espérai avoir un peu de tranquillité une fois là-haut. Je tendis mon billet à un homme chargé de les vérifier, mes yeux remontant inévitablement vers lui. Le gris qui l'entourait m'arracha un sourire triste. Ce pauvre homme était en pleine dépression et les choses semblaient empirer... Le revers de la médaille, à voir la nature des gens, c'était que l'on avait la souffrance du monde sur les épaules. Et que, ne pouvant parler de ce secret à personne, je portais ce poids seule. Au risque de m'effondrer un jour. Je me faufilai parmi les gens afin de rejoindre ma nacelle et comme je l'avait espéré, la foule se fit beaucoup moins dense, ce qui me permettait de respirer et me laissait relever le visage sans risquer de me noyer dans un tourbillon de teintes chatoyantes. Je redressai donc la tête.

Ce fut comme si le Soleil était descendu parmi la foule, illuminant les lieux d'un éclat intense. Je clignai des yeux derrière les verres teintés, éblouie. L'espace d'un instant, je ne vis rien d'autre que cette lumière blanche au milieu de laquelle se dessinait vaguement une silhouette. Puis l'intensité diminua, me laissant apercevoir un homme qui embarquait à bord de la nacelle vers laquelle je me dirigeais. Inconsciemment ou non, j'accélérai un peu l'allure afin d'être dans la même, le cœur battant un peu vite à l'idée de la rater. Heureusement, je pus prendre place dans celle-ci et la tension redescendit alors que j'essayai de reprendre mes esprits. Le phénomène était anormal. Aucun être ne peut avoir une âme aussi pure. Aussi blanche, et lumineuse. C'était impossible, je l'avais appris au fil des années. Même la personne la plus honnête possède des tâches sombres. Alors que je cherchai à comprendre ce qu'il venait de se passer, la nacelle se mit lentement en route, nous élevant vers les cieux. Instinctivement, je me reculai des bords. Je n'avais pas pensé au fait que j'avais peut être le vertige. Mon dos heurta une personne et je sursautai en me retournant brutalement, faisant par la même occasion tomber mes lunettes de soleil. Je fermai immédiatement les yeux, par réflexe. Ne sachant pas véritablement si c'était utile. Je poussai un soupir, me maudissant d'avoir voulu faire comme si j'étais quelqu'un de normal. J'étais stupide. Je battis des paupières une fois avant de relever le visage vers celui que j'avais bousculé.

Ange. Ma première pensée fut qu'il était un ange. Auréolé d'une lumière blanche qui me brûla les yeux, l'homme que j'avais aperçu tout à l'heure se tenait désormais face à moi. Son aura était magnifique. La plus belle. J'en avais vu des centaines, voire des milliers. Aucune ne ressemblait à celle de cet inconnu dont je ne parvenais pas à distinguer les traits. Il était à part. Unique. Incapable de supporter l'intensité lumineuse plus longtemps, je baissai de nouveau la tête vers le sol.
- Je suis navrée... m'excusai-je en chuchotant.
Des larmes vinrent brouiller ma vue déjà troublée. J'avais mal. J'avais l'impression que ma rétine était en train de brûler, et j'étais dans l'incapacité de retrouver mes lunettes. Je restai donc là, immobile. Attendant une sorte de miracle. J'étais à moitié aveuglée, et je me sentais terriblement vulnérable sans mes verres. Les couleurs des autres me faisaient souffrir, et la blancheur de l'inconnu encore plus. Bravo Nawel, tu viens de rencontrer ton âme sœur. Félicitations.