Deux emplois du temps différents et une rencontre pour tout bazarder. [Aylin/June]

Faites place à **Invité** Invité

June pestait intérieurement contre tous et toutes. Elle détestait qu'on la fasse attendre. Si elle attendait quelqu'un, ça voulait aussi dire qu'elle avait probablement à voir d'autres personnes ensuite qui n'aimaient sûrement pas, eux non plus, attendre. Et voilà qu'elle passait son début de soirée à faire le piquet sur la place de Covent Garden pour un client. La place ! Sérieusement, est ce qu'il n'y avait pas d'endroit plus voyant qu'ici ? Le marché couvert ou même un couloir de l'Opéra, pourquoi pas, mais là ? Piétiner en regardant les passants londoniens : su-per. Enervée, elle enfonça ses poings dans les poches de son blouson de cuir. Elle les ressortit aussitôt, son paquet de cigarettes en main et alla s'assoir sur un banc, alluma ce petit tube de tabac qui la ferait patienter quelques minutes. Elle tira la première latte et soupira passant ses doigts dans ses cheveux détachés sur ses épaules. Elle n'aimait pas trop ce coin trop luxueux, elle n'avait pas l'habitude de venir par ici pour offrir des fixs à ses clients. D'ailleurs elle ne les offrait pas, songea-t-elle réprimant un ricanement. Bien au contraire, Angus allait raquer : de un, pour sa dope, de deux, pour l'avoir fait venir par ici, à Covent Garden et de trois, pour l'avoir fait autant attendre ! Mais bon, lui comme elle savaient que si elle avait accepté de venir ici c'était pour l'argent que représentait ces six petits comprimés roses avec un imprimé étoile. Six ! Il était fou ! Ou bien comptait-il les revendre à son tour ? Elle écrasa fermement le mégot de sa cigarette par terre. On ne revend pas son rêve. Aux risques et périls d'Angus, pensa-t-elle sans un sourire.
Son regard enveloppa la place, quelques touristes, quelques personnes... Après tout, pourquoi ne seraient-ils pas eux aussi clients potentiels ? Elle passa sa langue sur ses lèvres ravalant un sourire carnassier. Il faudrait qu'elle revienne par ici bientôt...
Alors qu'elle allait sombrer dans d'autres pensées, un homme d'une cinquantaine d'années s'avança vers elle puis s'assit à ses côtés sur le banc.

- Tu en as mis un temps ! grinça-t-elle entre ses dents.

- Ouais, désolé Alice. Un problème. Anna ne voulait pas m'accompagner à l'opéra.

June faillit répliquer qu'elle s'en foutait, du théâtre comme de sa dernière copine. Mais bien qu'elle se ficha éperduement de qui était cette Anna, elle avait gardé de sa jeunesse un amour sans bornes pour la littérature et tous les arts qui en dérivaient. Du moins jusqu'à ce que Sean apparaisse en tant que borne entre elle et ses livres et l'en éloigne partiellement. Mais pas avec Angus.
Elle sourit. Elle lui jeta un rapide coup d'oeil. Angus, cet individu sans morale qu'elle croisait toujours sous ecsta dans les recoins les plus sombres des night-clubs mal famés, était habillé en trois-pièces et emmenait Madame voir un opéra.
Il croisa son regard et soupira.

- T'aurais dû mettre une robe, Alice. C'est avec toi que j'y serai allé !

- Ben, tiens ! On a pas ce genre de rapport, Angus. D'ailleurs...

- Oui, oui, je sais ! la coupa-t-il. Voilà !

Et il sortit un exemplaire poche de Sa Majesté des Mouches et lui tendit. Elle feuilleta rapidement les pages du bouquin, compta rapidement les billets entre les pages. Le compte y était. Elle sourit émerveillé plissant ses yeux qui pétillaient. Pour les billets, oui, mais surtout parce qu'elle avait lu cette histoire il y avait des années de ça et l'avait choqué, émerveillé, désespéré, elle avait adoré. C'était toujours ainsi avec Angus. Il arrivait, demandait son dû et payait dans un livre, un paquet de bonbons ou un sac de haricots verts ! Elle ne savait pas q'il conservait cette excentricité depuis tout jeune ou si au fur et à mesure que les années marquaient son visage et son âme il avait décidé de faire de sa vie des surprises continues. Elle aimait cet aspect de lui. Il était tout pardonné pour les minutes qu'elle avait perdu à l'attendre. D'ailleurs, songea-t-elle, c'est parce que c'était Angus qui lui avait demandé de venir ici qu'elle avait accepté. Elle referma le livre, le rangea dans son sac puis glissa sa main dans la poche intérieure de son blouson et donna à Angus un petit sachet qui renfermait ses comprimés du bonheur.
Il hocha la tête en guise de remerciement, satisfait.

- Au fait, tu vas voir quoi ?

- Du Shakespeare, Othello. Dommage qu'Anna ne soit pas là, j'aurais aimé qu'elle voit Desdémone mourir étranglée. Oh, oui.

June grimaça.

- Tu fais peur. Dis lui simplement que t'es furax qu'elle ne t'ai pas accompagné, ça suffira pour qu'elle comprenne ! Evite de te retrouver avec un homicide sur le dos !

Angus haussa les épaules et se leva après avoir consulté sa montre : la pièce allait bientôt commencer. Il fit quelques pas en direction du Royal Opera puis se retourna vers June et lui dit sur le ton de la confidence :

- Chère Alice. Othello assassinant sa femme est un homicide volontaire. Sans préméditation, certes. Mais, bref ! Le fait est que vendre des substances illicites à de pauvres innocents qui creveront d'overdose est aussi considéré, par certains, comme un meurtre. Sur ce, à bientôt pour de nouvelles aventures au pays des merveilles !

June suivit d'un air interdit l'entrée d'Angus dans le théatre londonien. Elle était soufflée qu'il ai pu lui dire une chose pareille. Assez mécontente, même. On ne dit pas aux gens leurs quatre vérités ainsi ! Elle s'alluma rageusement une cigarette et étouffa un cri de colère contenue en jettant son briquet au milieu de la place parmi les passants. Des larmes piquaient ses yeux. Ce n'était pas de sa faute, tout ça ! Pas de la sienne ! Elle pensait à Sean, à quelques autres gens, oh ! ils se comptaient sur les doigts d'une main, oui, mais c'était toujours des vies en moins. Que voulait-on, elle n'allait pas donner le mode d'emploi et les précautions à prendre lorsqu'on sniffait un rail de coke ou qu'on se plantait une seringue dans le bras !
Une espèce de grognement de dédain la tira de ses élucubrations. Elle leva les yeux et trouva devant elle une dame. Ou du moins l'idée que June se faisait d'une jeune femme très distinguée, ce qu'elle-même n'était pas. Les deux filles s'évaluèrent dans un long regard. L'inconnue avait l'air plutôt fâchée, il y avait de petits éclairs dans ses yeux ou quelque chose qui y ressemblait tant que cela ne disait rien de bon à June. C'est bizarre, pensa June, parce qu'elle reste super belle quand même. En effet, la jeune femme était jolie. June se savait belle, bien sûr, elle ne serait jamais allée aussi loin dans la vie si elle n'avait pas eu ce corps mince aux formes généreuses et ces yeux entre ciel et terre. Bien sûr. Mais elle avait aussi cet irrésistible côté garçon manqué qui ajoutait du charme au personnage... Alors que cette femme là était l'inverse. Belle, gracieuse, féminine aussi, surtout. June ne savait trop comment aborder l'inconnue qui semblait lui en vouloir. Un instant d'hésitation et June comprit. Les mots coulèrent d'eux-mêmes :

- Hé, lady. Je pense que c'est mon briquet que vous avez dans la main.

Elle sortit une autre cigarette de son paquet, quémandant son briquet du regard, un sourire arrogant flottait sur ses lèvres.

Faites place à **Invité** Invité

Maximilian, Maximilian, Maximilian... Ce prénom résonnait comme une obsédante mélodie, d'une harmonie si parfaite qu'elle en venait à insupporter Aylin. Elle avait l'impression qu'une voix qu'elle ne pouvait chasser ne cessait de hurler dans son esprit ces dix lettres qu'elle aurait aimer insignifiantes. Malheureuseent, elles ne l'étaient pas et la jeune femme n'avait pas d'autres choix que de faire avec.

Ce soir là, Aylin avait besoin de respirer, de s'évader. Elle devait se retrouver avec elle-même, et quoi de mieux pour cela qu'une sortie à Covent Garden ? C'était l'endroit où elle se sentait le plus vivante. C'était son territoire, le lieu où elle était la reine des cœurs tourmentés, la princesse de minuit, déesse de la nuit. C'était un lieu où elle était vraiment quelqu'un, et cette sensation la grisait énormément. Les regards fiévreux, envieux ou jaloux qui glissaient sur elle lui donnait l'impression d'être de nouveau à sa place au milieu de ces hommes et de ces femmes de son milieu. Les cheveux ondulant au gré du vent, elle revivait.

- Aylin !
La voix féminine qui l'apostrophait la fit se retourner. Ses yeux fouillèrent la foule avant de se poser sur une femme blonde peroxydée. Katleen Ryan. Poussant un soupir, Aylin leva les yeux au ciel. Cette femme était vraiment la dernière personne qu'elle avait envie de voir... Le souvenir de leur dernière rencontre lui restait encore en travers de la gorge. Néanmoins, elle se composa un visage enjoué alors que l'autre arrivait à sa hauteur. Celle-ci était toujours vêtue de façon aussi vulgaire et le regard qu'elle porta sur la brune n'indiqua rien de bon à Aylin.
- Dis-moi... cela fait un moment que l'on ne t'a pas vue dans les parages. Peut être es-tu trop occupée avec ce jeune homme aux cheveux longs ?
Une bouffée de colère envahit la Vagabonde suite à cette insinuation. De quel droit cette pétasse -Aylin avait cessé de mâcher ses mots à son sujet- se permettait-elle de se mêler de sa vie ? Sa réponse ne tarda pas à venir.
- Occupe-toi de tes chirurgies esthétiques plutôt que de ma vie, Katleen.
- Oh, aurais-je touché un point sensible ? Cela ne t'as pas suffit de me voler mon fiancé, il fallait en plus que tu me voles ma cible c'est cela ?
La stupidité de la remarque arrache un rire sarcastique à la brune.
- Change de disque, tu me fatigues. Quant à ta cible... Oublie, Katleen. Tu n'as aucune chance.
- Ce n'est pas parce qu'il t'a sautée qu'il t'appartient !
La grossièreté de la phrase choqua Aylin plus que la jalousie qui perçait dans les mots de Katleen. La colère évolua en rage, et elle dû serrer les poings pour ne pas gifler la femme en face d'elle. C'est néanmoins d'une voix calme qu'elle reprit.
- Et si tu allais lui demander ? Il vient d'entrer au casino, je te le laisse sans soucis...
L'autre tomba en plein dans la piège. Adressant un regard dédaigneux à Aylin, elle tourna les talons sans plus de cérémonie et s'éloigna de sa démarche outrageusement chaloupée. Un sifflement méprisant s'échappa des dent serrées de la brune alors qu'elle se détournait pour s'enfoncer d'un pas vif dans une ruelle pour rejoindre l'avenue adjacente. Il avait vraiment fallu qu'elle tombe sur cette... La présence de deux personnes la coupa court dans ses réflexions. Étrangement, plutôt que de continuer son chemin, elle observa la scène qui se déroulait sous ses yeux.

Les deux personnes, un homme et une femme, étaient trop loin encore pour qu'Aylin puisse distinguer leurs traits. Ils étaient en pleine conversation lorsqu'il sortit quelque chose de nul part et lui tendit. Elle s'en empara et feuilleta les pages de ce qui se révélait être un livre, avant de le glisser dans son sac. Elle sortit ensuite quelque chose d'une poche de son blouson avant de le tendre à l'homme. Un sursaut de mépris se saisit d'Aylin. Une dealeuse. Cette femme était une vendeuse de drogues. La brune détestait tout ce qui touchait à la drogue. Les gens qui consommaient ces substances n'étaient que de pathétiques camés qui cherchaient à fuir leurs vies en se détruisant de plus en plus. Ils étaient au même niveau que les alcooliques ou que les fumeurs accrocs à leur cigarettes. Des insectes, des personnes sans volonté. Et les dealeurs, au final, ne valaient pas tellement mieux. Si Aylin était aussi amère, c'était parce qu'elle avait connu la douleur d'une relation avec un drogué. Celui-ci avait été une personne très chère à Aylin, qui avait fini par mourir d'une overdose. La brune avait eu beau le supplier d'arrêter de se détruire, rien n'y avait fait. Et un beau jour, il était mort, assassiné par son addiction.

La belle brune fut sortie de ses pensées par un cri rageur. Elle détourna le regard vers la femme qui jeta quelque chose qui atterrit non loin d'Aylin. Celle-ci s'approcha, se pencha, et ses doigts fins se saisirent du briquet de l'inconnue. Elle fit lentement tourner l'objet entre ses doigts avant de lâcher un grognement de dédain. Qu'avait-elle à faire d'une toxicomane ? Se sentant observée, elle releva les yeux. L'autre femme la dévisageait de ses yeux vairons sans aucune gêne. Sans s'offusquer, Aylin détailla également l'inconnue qui se révélait plutôt jolie. Elle avait de longs cheveux bruns, un joli visage et ses yeux si particuliers lui conféraient un certain charme. Son côté un peu garçon manqué était également très marqué. D'une certaine façon, elle était l'opposée totale d'Aylin. La colère attisée par Katleen était revenue, et la Vagabonde était à deux doigts de passer ses nerfs sur la dealeuse. De toute façon, elle la méprisait. Peu importait le fait qu'elle la connaisse ou non.

L'inconnue dont il était question venait par ailleurs de sortir une cigarette de son blouson et semblait quémander son briquet, tandis qu'un sourire arrogant se dessinait sur ses lèvres.
- Hé, lady. Je pense que c'est mon briquet que vous avez dans la main.
L'appellation « lady » manqua de faire rire Aylin. L'inconnue ne manquait pas de culot ! Elle eut soudain envie de lui faire ravaler son sourire, mais l'agitation un peu plus loin sur la place la fit se retourner. Un éclat de rire franchit la barrière de ses lèvres lorsqu'elle vit Katleen en train de se faire jeter hors du casino, la mine furieuse et rouge de honte. Ce soir là, Aylin était une garce, et elle l'assumait complètement. La blonde arriva d'un pas rageur avant de se planter devant la Vagabonde. Elle adressa un vague regard à l'inconnue avant de reporter son attention sur Aylin.
- Tu m'as fait virer de ce casino, espèce de salope !
- Tss, surveille donc ton langage, Lady, répondit-elle en souriant tandis qu'elle reprenait l'appellation de la dealeuse.
- Je n'en ai pas fini avec toi, Stevens ! Tu me le paieras ! hurla la blonde, à moitié hystérique.
Les yeux azur d'Aylin s'animèrent d'un éclat de glace.
- Tu n'es rien, Katleen. Tu peux essayer de t'attaquer à moi, mais au final, je finirais toujours par te remettre à ta place : au ras du sol, parmi les insectes.
L'espace d'un instant, la part d'Aylin qui prenait vie auprès de Maximilian regretta ces paroles. L'autre part, quant à elle, prenait un plaisir fou à se venger de ce que Katleen lui avait fait subir devant le jeune homme. La Vagabonde n'était pas un ange, ce n'était un secret pour personne, mais elle était rarement méchante. La personne qui s'attirait ses foudres devait vraiment mériter ce qui lui arrivait, et c'était le cas de la demoiselle Ryan. Celle-ci, manquant de s'étouffer, tourna les talons et disparut peu après au coin d'une rue. Bon débarras...

Aylin reporta son attention sur la femme qui se trouvait non loin d'elle, et qui venait d'assister à ce charmant échange. Lui lançant son briquet, elle répondit aux mots qui lui avaient été adressés.
- Le voici, votre briquet. Cela se voit que c'est la première fois que vous venez ici, Lady... et je vous déconseille de continuer votre business dans le coin.
L'inconnue n'avait rien d'une lady et Aylin le savait très bien. Son ton avait été cinglant et méprisant à la fois. Ourlant ses lèvres d'un sourire dédaigneux, elle termina sa phrase.
- Sauf si vous désirez vous faire une ennemie, Mademoiselle... ?
Laissant la question en suspens, elle planta son regard azuré dans celui de l'inconnue, attendant que celle-ci décline son nom.