Au détour d'une avenue, Ethanaël Storm marchait d'un pas décidé. Bousculant une horde de piétons insolents qui gênaient sa route, il leur accorda un bref hochement de la tête en guise d'excuses. Ce soir là, il avait bu, et il était à présent ivre. Ivre de vivre. Le pianiste célèbre, le prodige musicien n’avait qu’une envie, faire la fête. Il se demandait pourquoi cette ville avait un tel effet sur lui ? Pour quelle raison n’arrivait-il pas à accomplir sa mission, sans problèmes ? Pour se compliquait-il toujours la vie ? Il avait déjà fait l’erreur dans le passé, de se détourner de son but, il ne recommencerait pas. Mais, quand le passé devient trop dur à fuir, quelle est la solution pour l’oublier ? Ethanaël était quelqu’un possédant une mémoire incroyable. Il n’avait rien oublié de son existence, depuis sa naissance. Il se rappelait donc de ses voyages au Moyen-Âge, et parfois il y retournerait... Il aurait très bien pu y aller ce soir, mais il n’en avait pas eu l’envie.

Toute la journée, ça avait été la cohue en ville, c’était la St-Valentin, et rien n’aurait pu gâcher une telle fête. Pourtant, le vent s’était levé en fin de soirée, et Ethanaël avait passée une partie de la nuit à aller de bar en bar, pour noyer son désarroi dans l’alcool. À présent, le vagabond ne pensait plus qu’à la musique. Il l’entendait, il la sentait tout autour de lui. Le vent, les voitures, les bruits de pas, il suffisait de s’ouvrir pour entendre la musique. Il ne savait pas vraiment où il allait, mais il suivait la lumière. Là, il était vraiment saoul. Il continua jusqu’à se trouver devant un hangar abandonné. Ignorant qu’il pourrait y avoir du danger, le musicien pénétra à l’intérieur et explora les lieux. C’était un endroit complètement délabré, qui sentait le charbon et les égouts. Le brun prêta oreille, et sans connaître la raison, il sut instantanément qu’un piano se trouvait dans le bâtiment. Après quelques minutes, il se mit à la recherche du précieux instrument, et enfin, le trouva. Un drap était posé dessus pour éviter qu’il prenne la poussière, et Ethanaël l’enleva tout de suite. Il s’assit face au somptueux piano et effleura les touches de ses doigts. Puis, il se mit à jouer, La Pavane de Gabriel Fauré. Un morceau si violent et doux à la fois, qui le transportait à chaque fois dans un autre monde. Il commençait à entrer dans une sorte de transe que lui procurait la musique et l’alcool. Il entendit alors des pas tout près, et il voulut s’arrêter, mais il ne pouvait s’empêcher de jouer. C’était vital. C’était en lui.

Le pianiste jouait, jusqu’à en suer, et sentir son cœur battre à une vitesse folle. C’était toute sa vie le piano, c’était ce qui lui permettait de ne pas perdre la raison, de ne pas devenir fou... et pourtant, tant de fois il avait faillit tomber. Après la perte de Casey, après sa rencontre avec cette jeune blonde... Ethanaël était seul, et il ne s’en plaignait jamais, sauf qu’à force d’être seul, vos démons vous rongent et vous font perdre la tête. La mélodie changea et se transforma en une valse rythmée qui avait des airs de tango. C’est alors que dans un coin de la pièce, il vit une femme qui ne semblait pas vraiment existé. Était-il en train de rêver ? L’inconnue virevoltait autour de lui, et dansait, et volait, c’était magnifique à voir. Sa robe de soie laissait apparaître ses formes qui ne semblaient pas réels non plus. Le brun regarda ailleurs préférant se concentrer sur les touches de son piano, mais une pointe de désir montait en lui, et lorsqu’il reporta son attention sur la jeune femme, il ne put s’empêcher d’avoir les yeux pétillants. C’était seulement l’effet de l’alcool, le vagabond ne pouvait ressentir ces choses, pas pour une faible humaine, une vulgaire femme qui ne lui serait d’aucune utilité pour sa mission. Il se devait de rassembler des alliés, pas de fantasmer... Il secoua la tête, mais l’hallucination persistait. La blonde s’approcha de son précieux instrument et passa derrière lui, tout en touchant les touches noirs et blanches qui étaient si précieuses aux yeux du vagabond. Son corps frôlait presque le sien et il retint sa respiration. Il ne devait pas flancher. Malheureusement, elle se mit à ouvrir la bouche, pour laisser ses cordes vocales vibrer, et cela bouleversa complètement le jeune homme. Ethanaël entendit les premières notes de chant provenant de la blonde, et il en fut aussitôt ému. Lorsqu’il s’agissait de musique, il n’y avait plus de règles, plus de limite, et il ne pouvait plus résister... La femme était sa muse, son inspiration, sa voix portait si loin et si fort, elle frottait aux oreilles du musicien qui s’efforçait de continuer à jouer. Il transforma sa valse en quelque chose de plus doux qui allait parfaitement bien avec sa soliste. Puis, il y eut un regard, qui changea la donne.

Ethanaël avait bu et il sentait que l’alcool lui tapait sur le système, qu’il n’allait pas tarder à tomber, mais lorsqu’il croisa le regard de sa voisine, il ne put s’empêcher de penser que c’était elle qui était la cause de son étourdissement. Ethanaël s’arrêta aussitôt de jouer, alors qu’il tourbillonnait de plaisir dans les iris de sa blonde, et il se leva. Il s’approcha de la jeune femme avec détermination, mais n’essaya même pas de la toucher, pensant toujours que c’était une hallucination, quelque chose d’irréel . Elle chantait toujours, et encore une fois, il fut ému par la beauté de sa voix. Elle aurait pu devenir une véritable célébrité, et elle était talentueuse... Mais, peut-être qu’encore une fois, c’était l’alcool qui lui jouait des tours, et qu’en vérité, la jeune femme n’était pas aussi douée qu’elle le prétendait. Perdu, Ethanaël plongea une nouvelle fois ses yeux sur la belle, elle était vraiment belle. Ses cheveux s’échouaient sur ses épaules tels des vagues. Magnifique. Il leva une main, et un sourire mutin apparut sur son visage. Cette femme serait sienne. Il approcha doucement sa main du visage lisse et sûrement très doux de l’humaine et alors qu’il la frôlait presque, elle se mit à courir en riant, telle une enfant. C’est à cet instant que le vagabond remarqua qu’elle ne portait pas de chaussure et qu’elle lui échappait. Désespéré, le garçon suivit le chemin qu’elle avait empruntée dans l’espoir de la retrouver. Il ne comprenait vraiment pas pourquoi perdait-il son temps, ainsi, cela ne lui ressemblait pas. Mais visiblement, ce qu’il se passait n’était pas si réel que ça. Avec détermination, Ethanaël entra dans un couloir, où le rire enfantin de la blonde résonnait, comme un chant cristallin. Il en était ébloui.

Le vagabond vit alors qu’au bout du couloir, il y avait une magnifique porte de marbre, blanche. Il tourna la poignée et ouvrit pour entrer dans un lieu totalement différent. Un jardin qui pétillait. Réellement. L’endroit était paradisiaque et offrait des senteurs de différentes saveurs picoter les narines des étrangers. Ethanaël était fasciné, il ne croyait pas en ce qu’il voyait, et ce fut avec surprise, qu’au milieu de ce spectacle il vit sa blonde. Cachée derrière un arbuste, elle essayait de le fuir, il courut dans sa direction, mais elle disparut une nouvelle fois. Désespérée, le jeune homme ne pouvait plus accepter que l’on se moque ainsi de lui. Il s’apprêtait à crier pour annoncer sa colère, quand il sentit deux mains serrer son cou. La jeune femme était derrière lui... Le brun se retourna, et effectivement, la blonde était en face de lui, avec ce sourire séducteur sur les lèvres auquel on ne pouvait résister. Ethanaël resta béat devant la créature, et n’osa pas bouger. Il avait soudain très chaud, et encore une fois il accusa l’alcool d’être fautif de cette sensation. Mais, ce qu’il essayait de cacher, c’était surtout que lui, Ethanaël Storm, était capable d’éprouver du désir, celui d’aimer, et celui de plaire.